Pendant des années, il a été relégué au rôle de figurant. Trop instable, trop méconnu, trop capricieux. Mais aujourd’hui, il murmure à l’oreille des initiés. Dans les mines, sur les marchés, au cœur des révolutions technologiques, il se prépare pour le grand jour. Ce texte vous emmène dans les coulisses d’un réveil qui pourrait bien bouleverser l’ordre établi.
Cher lecteur,
L’heure est à la confession.
En 2011, alors que l’argent flambait, j’ai écrit pour un petit blog appelé Silver Doctors, sous le pseudonyme de… Monsieur M.
A l’époque, Silver Doctors était un groupe disparate d’individus armés de claviers et de théories folles, et non le très sérieux site marchand – en l’occurrence SD Bullion – qu’il est devenu.
Depuis 2012, SD Bullion a souvent figuré au classement Inc. 5 000 [NDLR : les 5 000 entreprises américaines affichant la croissance la plus rapide], notamment grâce à son taux de croissance de 2 410 % sur 3 ans qui lui a valu la 177e position en 2017.
A ce moment-là, bien entendu, j’étais déjà parti depuis longtemps.
Mais j’ai appris une chose à cette époque. On n’achète pas de l’argent-métal parce qu’il se comporte bien mais parce qu’il est volatil, opiniâtre, irremplaçable, et parce que, de temps en temps, il devient cet oncle qui a trop bu au mariage, et qui déchire sa chemise avant de se mettre à chanter « We Are the Champions » au beau milieu de la piste de danse.
Et en ce moment, l’argent sirote discrètement une boisson dans son coin. Mais je vois bien ce regard fou, dans ses yeux, qui ressemble à celui qu’il avait avant de sauter sur la table, la dernière fois.
Alors voici quelques éléments qui pourraient appuyer sur la détente (je pourrais en trouver 99 mais coupons la poire en deux – on va se contenter de 9. Je sais… j’étais la hantise des profs de maths).
1. La crise monétaire à laquelle personne ne s’est préparé
La dette mondiale a atteint 324 000 Mds$, ce qui représente plus de trois fois la valeur du PIB mondial. Autrement dit, l’humanité doit désormais l’équivalent de trois années de production économique globale.
Dans leur livre This Time Is Different, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff ont étudié les crises de dette souveraine de ces 200 dernières années.
Ils ont découvert qu’historiquement, les ratios dette/PIB élevés (à quelques nuances près) entraînent l’une de ces trois choses : une inflation rapide, une répression financière ou des défauts de paiement/restructurations [de dette].
Les probabilités suggèrent que quelque chose va céder quelque part. Et probablement dans « plusieurs quelque part », d’ailleurs.
L’or, les cryptomonnaies et l’argent en bénéficieront.
Dans les années 1970, l’argent a progressé de près de 800 % lorsque l’inflation a flambé. Si l’or est réévalué lors d’un « reset » monétaire (disons à 5 000 $), l’argent sera comme son petit frère qui veut toujours le suivre partout, et qui finit par le dépasser.
2. Le « choc de l’argent » dans le secteur des énergies vertes
Vos panneaux solaires et véhicules électriques (« VE ») ne fonctionnent pas par magie mais avec de l’argent, beaucoup d’argent.
En 2024, l’énergie solaire en a dévoré presque 200 millions d’onces. Par ailleurs, chaque VE contient assez d’argent pour fabriquer 1 ou 2 pièces d’une once. Or, les constructeurs automobiles prévoient de produire des dizaines de millions de VE par an. Et 9 à 12 millions d’onces d’argent séjournent dans nos poches, chaque année, via nos smartphones.
Entre le solaire (~200 millions d’onces), les VE (~48–97 millions d’onces), les smartphones (~9–12 millions d’onces), l’électronique en général (~135 millions d’onces), la soudure (~45 millions d’onces), les catalyseurs de production d’oxyde d’éthylène (~7 millions d’onces), le secteur médical (~5 millions d’onces), et toutes les autres utilisations (~12 millions d’onces), le secteur industriel absorbe à lui seul environ 461 à 513 millions d’onces d’argent par an, soit environ 55 % de la production mondiale des mines, avant même que la demande provenant de la joaillerie, de l’argenterie, ou du secteur de l’investissement n’entre en jeu.
Parallèlement, les gouvernements ne cessent de relever leurs objectifs en matière d’énergies renouvelables, comme un adolescent qui pousse toujours plus fort les basses de son ampli. Tout ce beau monde va faire sauter le haut-parleur.
Sauf que dans ce cas, le haut-parleur, c’est l’offre mondiale (ou l’approvisionnement) en l’argent.
3. Le pic de production de l’argent : l’offre minière sous tension
La production mondiale d’argent représente environ 820 à 830 millions d’onces troy par an. [NDLR : Une once troy – ou once troy ounce en anglais – est une unité de mesure de masse utilisée principalement pour les métaux précieux comme l’or, l’argent, le platine et le palladium. 1 once troy = 31,1035 grammes.]
Mais voici ce qu’il se passe, avec les mines d’argent : la plupart d’entre elles ne sont pas vraiment des mines d’argent. Il s’agit de mines dans lesquelles on a « aussi » trouvé de l’argent. Environ 70 % de l’argent n’est qu’un sous-produit de mines qui extraient d’autres métaux.
Cela crée un paradoxe : l’argent n’est pas forcément rare dans la nature, mais la quantité que l’on peut obtenir chaque année est relativement fixe, et elle n’est pas réactive à court terme (autrement dit, même si la demande explose – par exemple pour des usages industriels ou monétaires – l’offre ne peut pas s’ajuster immédiatement).
Même si l’argent est extrait dans de nombreux pays, son statut de sous-produit le rend plus vulnérable à certains types de choc d’approvisionnement à court terme.
Parallèlement, partout dans le monde, la production stagne, les teneurs sont en baisse, et personne ne trouve de nouveaux grands gisements. Les réserves déjà extraites fondent comme neige au soleil.
Si cela continue, on aura plus d’acheteurs que d’onces. Et selon les principes économiques de base, cela devrait se terminer avec une hausse des cours… une hausse extrême des cours.
Et nous n’en sommes qu’au troisième point…
4. L’électrochoc géopolitique
La moitié de l’argent-métal du monde vient d’Amérique latine.
Si le Mexique ou le Pérou décident de faire grimper les royalties, de nationaliser les mines, ou juste de plonger dans le chaos politique… bonne chance pour vous approvisionner !
Et quand le monde est en feu – guerre, sanctions, problèmes de chaînes d’approvisionnement – les gens arrêtent de se soucier du taux de croissance de leurs plans retraite par capitalisation et commencent à stocker des choses qui brillent.
L’argent est le parent pauvre de l’or et, lors d’une crise, le parent pauvre pointe son nez de bonne heure.
5. Les à-côtés lucratifs du boom de l’or
Dans tout marché haussier de l’or digne de ce nom, l’argent débarque à moto, fait vrombir le moteur, avale toute une bouteille de champagne et offre à tout le monde une bonne histoire à raconter.
En 1980, l’or a atteint un cours de 850 $ et l’argent a grimpé à 50 $, ce qui représente un ratio de 17/1. Corrigé de l’inflation, cela représenterait entre 240 $ et 360 $, en monnaie d’aujourd’hui.
Entre 2000 et 2011, l’or a progressé d’environ 550 % et l’argent d’environ 1 000 %, puisqu’il est passé de 4 $ à 49 $.
Quel est le ratio or/argent, en ce moment ? Environ 80/1.
Si l’or décolle, l’argent pourrait faire dégringoler ce ratio.
6. WallStreetSilver 2.0
Vous vous souvenez de l’affaire GameStop ? Imaginez la même chose, mais avec des pièces et des lingots.
En 2021, la communauté WallStreetSilver sur Reddit a investi près de 1 Md$ sur SLV (iShares Silver Trust) en un seul jour. Les négociants d’argent métal sont tombés en rupture [NDLR : l’engouement boursier s’est reporté sur le marché de l’argent physique également]. Les prix se sont envolés.
La situation s’est calmée, mais pas la communauté.
Depuis, elle amasse, intrigue et communique de façon virale. Il suffit d’un message viral, d’une étincelle, et ceux qui amassent de l’argent sur Internet pourraient se précipiter sur un marché plus fragile qu’une veste en cuir vegan.
7. Elon Musk, le facteur X
Musk suit WallStreetSilver sur X (anciennement Twitter).
Il a déjà dit en plaisantant qu’il allait se lancer dans l’extraction minière. Mais dans toute blague, il y a un peu de vérité. Ses sociétés ont besoin d’argent-métal pour la construction de voitures Tesla, pour les panneaux solaires, pour les activités de Starlink et probablement pour sa colonie sur Mars aussi.
Le complotiste qui est en moi me dit qu’en 2021 il a fait grimper le Dogecoin pour détourner l’attention des petits investisseurs et les empêcher d’accaparer l’argent.
Est-ce vrai ? Personne ne le sait.
Mais imaginez le chaos, si Elon achète un jour une mine d’argent.
8. Le « big short » implose
Les grandes banques se sont fait taper sur les doigts – littéralement, avec des amendes de centaines de millions de dollars à la clé – pour s’être livrées au « spoofing » sur les marchés des métaux précieux [NDLR : consiste à placer de très gros ordres d’achat ou de vente sans intention de les exécuter. Ces gros ordres sont ensuite annulés une fois qu’ils ont influencé le prix. Le but de cette technique ? Tromper les autres acteurs sur l’offre et la demande].
En 2020, JPMorgan a dû payer une amende de 920 M$. Une fois condamnée, la banque s’est contentée de cette déclaration : « Oui, nous avons manipulé les marchés des métaux».
Le Département américain de la justice a indiqué qu’il ne s’agissait pas d’un cas exceptionnel mais de pratiques systématiques, sur des années, impliquant de multiples traders et bureaux, avec des milliers d’incidents enregistrés.
Parallèlement, les stocks physiques sont limités : si un grand acteur, dans l’univers des contrats à terme était dans l’incapacité de livrer du métal, cela pourrait déclencher une panique sur le COMEX [NDLR : New York Commodities Exchange, la principale bourse de métaux précieux du monde].
Nous avons frôlé cette situation en 2021, lorsque l’achat soudain de 34 millions d’onces d’argent par le fonds SLV a conduit certains à se demander d’où viendrait le métal.
Si de gros vendeurs à découvert se retrouvent piégés dans un véritable « short squeeze » [NDLR : quand le prix d’un actif monte rapidement, forçant les investisseurs qui avaient parié à la baisse (vendeurs à découvert ou « short sellers ») à racheter en urgence pour limiter leurs pertes], ils seront contraints d’acheter du métal physique, quel qu’en soit le prix.
9. Le supercycle du « narratif »
Le plus grand catalyseur, ce n’est peut-être pas les mines, Elon Musk ou les conditions macroéconomiques, mais le « narratif ».
Une fois que l’argent cessera d’être « cette chose que les grand-mères achetaient dans les années 1980 », et qu’il deviendra « le métal irremplaçable pour l’avenir », la réévaluation pourrait être violente.
Les gérants d’ETF parlent déjà d’un cours de l’argent à trois chiffres. Les gouvernements pourraient le qualifier de « métal stratégique » et se mettre à en amasser.
Le marché est minuscule, l’offre minière annuelle totale vaut moins que ce qu’Apple dépense en R&D. En fait, Apple pourrait acheter tout l’argent sorti des mines en un an avec moins d’un trimestre de profits.
Un seul fonds souverain – comme celui de la Norvège, qui pèse 1 400 Mds$ – pourrait accaparer le marché à cause d’une erreur d’arrondi au sein de son portefeuille.
Et même les réserves de devises étrangères d’un pays de taille moyenne pourraient rafler sans effort une année d’approvisionnement.
Il faudrait peu de choses pour qu’un certain nombre de pays ou de méga entreprises se réveillent un jour en se disant « il nous faut de l’argent. Et c’est maintenant. »
Bon, très bien mais ça veut dire investir sur quoi précisément svp?
Bonjour
Etant nouveau venu chez vous et faisant mes premiers dans les domaines d’investissement, je lis vos articles et essaie de comprendre la bourse, et les placements autres que les standards des français (livret A, assurances vie …)
Je vois que l’argent (et encore peut être l’or si ce n’est pas trop tard) sont des placements qui peuvent aider à mettre son patrimoine à l’abri et hors des banques ; Mais voilà, où acheter et garder de façon la plus sécurisante possible ces métaux ?
Et je continue de m’instruire sur les placements boursier via un PEA en lisant vos articles à ce sujet.
Si vous pouvez m’aider, merci de me répondre
Cordialement
Pierre Lootvoet