A la fin des années 1990, le clonage de la brebis Dolly avait déclenché une vague de fascination et de peur, avant de disparaître des gros titres pour se poursuivre dans l’ombre des laboratoires. Aujourd’hui, l’histoire semble se répéter avec l’informatique quantique : derrière le silence médiatique, une révolution est en marche, discrète mais déterminante.
Je me rappelle encore les gros titres à propos de la célèbre brebis Dolly.
C’était à la fin des années 1990. J’étais à l’école primaire. Toutes les chaînes d’information affirmaient la même chose : l’humanité venait de franchir un seuil. Nous pouvions cloner un mammifère vivant à partir d’une seule cellule.
QUOI ?!
Jurassic Park, mon film préféré, à l’époque, avait depuis longtemps implanté cette idée dans mon cerveau fertile.
Et désormais, c’était devenu réel.
Si l’on pouvait cloner un mouton, que se passerait-il, ensuite ? On clonerait les humains ? L’espèce éteinte des tricératops ? Une armée de Bruce Lee ?
Personnellement, j’étais impatient de découvrir la vie « après Dolly ».
Et puis… à ma grande déception, je n’ai rien eu. Dolly a vieilli, souffert d’arthrite [prématurée], et elle a été euthanasiée à l’âge de 6 ans.
Le monde s’est résigné.
Vingt ans plus tard, Barbra Streisand a fait cloner son chien. Super ! Mais cette histoire a disparu avant même d’être terminée…
Et ce silence était volontaire.
Le schéma « Dolly »
Le clonage n’a pas disparu. Il s’est consolidé.
Les laboratoires ont peaufiné la technique. Au lieu des dinosaures de Jurassic Park, ils ont cloné du bétail pour l’agriculture, des animaux de compagnie pour les gens fortunés et des souris pour la recherche médicale.
Un travail de l’ombre, peu glamour.
Et les véritables grandes avancées se sont déroulées à huis clos.
Les institutions qui devaient en tirer le plus parti – gouvernements, géants pharmaceutiques, armées – ont capté les esprits les plus brillants.
Elles n’ont pas communiqué autour des progrès réalisés. Elles ne le souhaitaient pas.
L’épisode « Dolly » fut la déflagration. Ensuite, il y eut le brouillard.
Et après ? La recherche sur les cellules souches, la médecine régénérative, et des choses comme CRISPR. Quand les scientifiques parlent de reprogrammer des cellules, aujourd’hui – transformer des cellules de la peau en neurones, par exemple – on le doit directement à Dolly.
Et c’est dans la « phase Dolly » qu’entre l’informatique quantique, aujourd’hui.
Du mouton aux qubits
Les ordinateurs quantiques s’apparentent au clonage des années 1990 : ils sont susceptibles de changer le monde et il est impossible de les ignorer.
Mais après un battage médiatique initial, les gros titres ont disparu. Sur CNN, on ne voit aucun débat, en soirée, à propos des qubits.
Mais cela ne veut pas dire qu’il ne se passe rien.
Cela veut dire que ce qui est important se passe en silence et, comme pour le clonage, on opère désormais dans la discrétion.
Les hedge funds recrutent discrètement des physiciens aux CV de prix Nobel. Les gouvernements déversent des milliards dans des « projets de recherche » enterrés dans des lois budgétaires. Les géants technologiques mènent des expérimentations dans des laboratoires que vous ne visiterez jamais.
L’histoire de Dolly recommence.
Pourquoi le silence est d’or
Le trading haute fréquence a offert un atout à Wall Street, en réduisant de quelques microsecondes le temps d’exécution des ordres. C’était de l’infrastructure : des câbles traversant des montagnes, des serveurs connectés aux places de marché, des maths fulgurantes.
Le quantique, ce n’est pas un câble plus rapide mais une nouvelle dimension, une façon de traiter des possibilités simultanément, et non les unes après les autres.
Si quelqu’un parvient à maîtriser l’informatique quantique au-delà de problèmes insignifiants – même avec un grand « si » – les gagnants n’auront pas qu’un atout : ils joueront la partie tout à fait autrement.
Et voilà pourquoi le silence est d’or.
Si vous travaillez sur un outil qui réécrit les règles du jeu, vous ne vous en vantez pas. Vous consolidez. Vous recrutez discrètement. Vous vous préparez tandis que le reste du monde poursuit son petit bonhomme de chemin. (Et vous cachez peut-être que vos clones se sont retrouvés avec plus de membres qu’ils ne devaient en posséder, aussi.)
L’atout qui réécrit les règles du jeu
Le clonage ne tournait pas qu’autour des brebis. Il était question de prouver que l’on pouvait réécrire la biologie à la racine.
Avec le quantique, il n’est pas question de déchiffrer un code ou de fixer plus vite le prix d’un dérivé, mais de prouver que l’on est capable de réécrire le calcul à sa racine.
La finance le sait. La défense le sait. Le secteur médical le sait.
Et le grand public ? Il voit les gros titres sensationnels.
Quand Dolly a été annoncée, les gens ont pensé que le clonage allait changer leur vie quotidienne du jour au lendemain.
Mais ce n’est pas arrivé.
En revanche, cela a bel et bien changé le monde d’une manière qui n’est devenue manifeste que des années plus tard : dans les chaînes d’approvisionnement, les laboratoires de recherche et des endroits discrets où les progrès comptaient le plus.
Le quantique suit la même voie.
La révolution ne se fera pas sous les feux d’artifice mais dans des murmures, des notes de bas de page et de vagues intitulés de poste.
Comme Dolly, le quantique pourrait faire surgir des centaines d’innovations dans des lieux inattendus. Et alors, le monde se réveillera en découvrant que ses fondations sont en train d’être remaniées sous ses pieds.
Alors c’est sur cette petite ligne floue que nous allons partir en chasse. Car s’il y a un « quelque part », nous voulons savoir précisément où il se trouve.
Et, bien entendu, comment jouer cette carte…
